Moi, maltraitante par Lisa

Alors que deux collègues sont absentes depuis deux semaines sans être remplacées, nous courons dans tous les sens pour réussir à faire l’essentiel. Coucher les enfants, les faire manger, les changer. Mais aujourd’hui je suis à bout.

Les enfants sont très énervés, ils sont toujours aussi nombreux, toujours entassés dans cette même pièce de vie, si on peut appeler ça ainsi, moi je dirai plutôt que c’est un grand couloir. Ils crient, se chamaillent, mais nous avons à peine le temps de résoudre les conflits. C’est l’heure des départs. Une professionnelle enchaîne les transmissions aux parents. Une autre a pris un groupe d’enfants dans le dortoir avec des legos pour tenter d’apaiser l’ambiance. Moi, je m’active à changer les dernières couches et vérifier que tout les enfants sont bien débarbouillés du goûter. J’entends des parents s’agacer car leur enfant a le nez tout sale. Je me dépêche encore plus car je sais que bientôt Louisa va partir et que sa couche est pleine. Mais la priorité, c’est Dorian qui a fait une selle depuis une demi-heure que je n’arrive pas à changer. Il s’amuse de me voir courir et voudrait jouer mais je n’ai pas le temps. Au bout de quelques demandes pour qu’il vienne avec moi, je m’impatiente et le préviens que je viens le chercher. Il s’en va en courant dans la direction opposée. Je l’attrape alors par le bras et l’entraîne dans ma direction, ses pieds ne touchent plus le sol car il se laisse alors traîner en pleurant. À bout de nerfs je le tire ainsi jusqu’à la salle de change, il n’y a pas de temps à perdre.
Dorian se plaindra ensuite pendant deux jours de son bras.
C’était il y a quatre ans maintenant, mais je m’en veux encore. Jamais, je n’aurai pensé pouvoir avoir ce genre de pratiques maltraitantes. Je ne me l’excuserai jamais, mais je sais que jamais il n’y aurai eu ce genre de pratiques si nous avions été en nombre suffisant pour s’occuper des enfants.

On en parle des pauses des pros ? par Lauriane

Je vais au cœur du sujet.
Trouvez vous cela normal que les pros partent en pause avec la boule au ventre car elles laissent les collègues à 2 pour 20 ? Non, rectification à partir de 15 une EJE ou directrice ou agent de service vienne en renfort , en dessous de 15 , 2 pros….
Impossible de répondre aux besoins de tous les bébés surtout si on veut être bienveillante et suivre le rythme des bébés. J’ai l’impression que mon métier n’a plus de sens…. On privilégie la quantité à la qualité.

Plus d’enfant mais aussi plus de pro par Evelyne

Je suis référent technique en micro-crèche. nous sommes une équipe de 4 dont moi détachée en administratif les après-midi. mes collègues travaillent à deux pour 10 enfants autant dire que quand un enfant a besoin d’une professionnelle où que celle-ci sort pour une tâche ménagère une professionnelle se retrouve seule avec 10 enfants et c’est dangereux.
D’accord pour accueillir 12 enfants mais dans ces cas-là avec 3 professionnelles auprès des enfants.

EJE par Chrystelle

EJE depuis 1996, je travaille dans une micro crèche depuis 2012 accueillant 10 bébés.
J’ai mal pour eux. Ils commencent leur vie, souvent dès 4 mois, dans des conditions qui ne leur permettent pas de se développer de manière harmonieuse. Comment le pourraient-ils? Cloîtrer dans un espace réduit, subissant le bruit, les pleurs des autres enfants ( qui provoquent de la peur, qui les réveillent aussi ), l’attente ( pour être rassurés, pris à bras, consoler, protéger). Les professionnels s’affairent à leurs nombreuses tâches qui ne consistent pas seulement à s’occuper des enfants.
Que comprend un bébé lorsqu’il pleure car ses besoins ne peuvent pas être satisfaits, lorsque son rythme ne peut pas être respecté ?
Lorsque les exigences de la société ne s’occupent nullement du degré de maturation de l’enfant ?
Disons le clairement, les crèches n’ont pas été inventées pour les enfants.
D’après les neurosciences, le cerveau se développe dès la conception selon différents facteurs. La bienveillance envers l’enfant en est un.
Or, aujourd’hui, le contexte des modes de garde collectifs ne permet pas de prétendre que ce que vivent les enfants aujourd’hui n’aura pas d’incidence sur les futurs citoyens de demain et sur la société en devenir.
La société aura les citoyens qu’elle mérite.

J’aimais mon métier… par Ellie

Je suis auxiliaire de puériculture depuis 20 ans et j’aimais vraiment mon métier. Malheureusement, le travail en crèche ne permet plus de travailler avec des valeurs humaines et bienveillantes. Les professionnels doivent se couper de leurs émotions, et se mettre en « mode automatique » pour pouvoir tenir (quelle tristesse quand on est auprès de très jeunes enfants), ou alors, comme moi, elles arrêtent de subir et ne peuvent plus exercer leur métier…Comment a-t-on pu en arriver là ? La maltraitance institutionnelle est bien installée. Je ne sais pas comment résumer tout ce dont je voudrais témoigner, voici néanmoins quelques exemples :

Du coté des enfants : le remplissage et ses conséquences !

  • Des enfants qu’on appelle des « AO » (accueil occasionnel), appelés le matin à 8h quand on apprend qu’il y a un absent dans un groupe, pour qu’il n’y ait pas une place perdue (ce que ressent l’enfant n’est absolument pas la priorité).
  • Des parents en recherche d’emploi, obligés de mettre leur enfant à temps plein pour ne pas perdre LA précieuse place.
  • Des journées où l’on prend plus d’enfants que le nombre de places pour équilibrer avec des jours où il n’y en a « pas assez ».
  • Des « soins » à la chaine : changes, repas, habillages, déshabillages. Tous ces actes d’échanges si importants deviennent automatisés et déshumanisés.
  • Beaucoup de violence entre les enfants qui n’en peuvent plus d’être entassés et de ne jamais avoir un moment de calme.

Du coté des professionnels, des conditions de travail inhumaines !

  • Le taux d’encadrement maximum légal devient la norme, si bien qu’on en arrive à être heureux et soulagés chaque fois qu’un enfant est malade et reste chez lui.
  • Dans la théorie, nous sommes deux adultes pour 10 bébés ou pour 16 « grands » mais en réalité, quand une des professionnelles est occupée avec un enfant (change, dortoir, etc… presque tout le temps), l’autre est seule avec le reste du groupe.
    Bien sûr, si on regarde le coté légal, nous sommes bien deux adultes mais quand on sait compter, ce n’est pas du tout le cas !
  • Après une journée de 7, 8 ou même 10 heures, il y a régulièrement des temps de réunions. Elles se passent de 18h30 à 20h ou 21h. Ce sont des heures supplémentaires mais qui ne sont pas payées, elles sont juste notées et rattrapées…quand c’est possible.
  • Le présentéisme est la règle de base. Nous savons que notre absence va avoir des conséquences sur une collègue qui est peut-être en repos ce jour-là ou qui pouvait accompagner ses enfants à l’école. Trouver des remplaçantes, c’est compliqué et ça coûte plus cher, donc on se remplace les unes et les autres. Ça entraine beaucoup de culpabilité pour la personne arrêtée qui va éviter le plus possible de manquer. Pour donner quelques exemples, dont je ne suis vraiment pas fière, je suis allée travailler un jour à 7h30, alors que mon mari était aux urgences depuis la veille au soir. Je suis allée à la crèche dans un état second car je n’ai pas osé déranger mes collègues. J’ai déjà vu des personnes venir après un accident de voiture et je suis moi-même allée travailler de nombreuse fois, très malade.
  • Des arrêts multiples ou de longues durée quand les professionnelles ont abusé du présentéisme, et donc un personnel très changeant dans beaucoup de structures.
  • Des conséquences désastreuses sur la santé mentale et physique des professionnels qui peuvent parfois devenir maltraitants dans de telles circonstances.

Voilà les points qui me reviennent le plus en tête, 9 mois après avoir arrêté ce métier. Ce métier que j’aurais vraiment aimé si j’avais pu le faire dans des conditions raisonnables. C’est tellement important de s’occuper de nos bébés, ce sont les fondements des futures générations. Je ne peux pas concevoir que ça n’ait pas plus de poids dans la société.
Merci d’oser demander des témoignages, je pense que nous nous sommes assez tu, maintenant nous devons parler !

Recherche d’emploi, recherche de valeurs ! par LT

Eje depuis 20 ans. 10années en crèche parentale + 10 années en RAM. Et puis un changement de région et une remise en question professionnelle …
Que me réservent les 10 prochaines années ? Peut être retourner en structure collective : c’est un non ! Trop grand écart entre la volonté affichée du respect du rythme de l’enfant, l’accueil des familles, la réalisation de projets et la réalité de terrain gangrénée par un manque de professionnels et des réglementations toujours plus nombreuses.
Peut être retourner en RAM : pourquoi pas car il me semble que les AM sont à valoriser encore et toujours et que d’être au plus près des besoins de tous les adultes à des répercutions évidentes sur les touts petits. Mais avoir la sensation d’être un réceptacle des déboires administratifs (convention collective, contrat de travail etc) me semble bien loin de mes origines…

Bref, perdue ! « Expert » du développement du jeune enfant et de son environnement, j’observe une méconnaissance de notre métier encore et toujours… Quand un organisme me répond « on ne recrute pas d’Eje car on n’accueille pas de jeunes enfants », je crie « et ses parents, ce serait bien pour eux de pouvoir les accompagner avec ce regard d’éduc !!!! »…
Alors, comment concilier mes valeurs d’accueil de l’enfant et de sa famille avec la réalité de terrain et les différentes offres des territoires ? Je ne suis pas sûre que c’est une préoccupation nationale… mais jusqu’où ira-t-on ?

Désabusée par Girafe

Je suis EJE depuis 92 et après quelques années en EAJE j’ai souhaité me diriger vers le RAM.
Déjà à bout de souffle en accueil collectif, je ressens la même chose dans mon poste de responsable de Ram : isolement, manque de reconnaissance, de plus en plus de missions pas toujours facile à gérer, surtout quand on est seule. La présence des sites d’annonces pour trouver une assistante maternelle fait de l’ombre à nos missions. Pourquoi la Caf ne met pas en ligne un site comme nounou-top où parents et assistantes maternelles trouveraient les infos concernant le droit du travail? Il me semble que c’est à l’Etat de proposer ce genre de service et non à un gestionnaire privé. La crise sanitaire montre encore et toujours que le gouvernement oublie la petite enfance en mettant en avant le profit financier et non l’accueil de qualité pour les jeunes enfants. Pourquoi faire des études si on doit aller contre nos convictions? Tout ça donne envie de passer à autre chose et oublier la petite enfance même si je ne sais faire que ça, je suis fatiguée.

Il faut tout un peuple pour faire entendre la voix de l’enfant par l’enfant do

Il y a comme un paradoxe aujourd’hui à dire et faire valoir politiquement l’importance de l’enfant tout en ne donnant que peu de valeur à ceux qui les éduquent. Les métiers de la petite enfance sont très mal rémunérés, les directeurs ne sont pas formés, la charge de travail est considérable et l’épuisement physique et moral est conséquent. Penser la place de l’enfant dans la société, construire l’adulte en devenir, c’est aussi penser la place de la famille et des éducateurs au sens large, c’est donner la possibilité aux familles de choisir un endroit qui leur convient pour l’accueil de leur enfant afin de leur permettre de continuer leur vie professionnelle en toute sérénité.
Cet endroit ne peut pas exister si:

  • Les professions qui y exercent sont mal rétribuées et considérées
  • Les lieux sont surchargés et impossibles à aménager selon l’éthique des professionnels de la petite enfance
  • La petite enfance devient un marché et plus un service

Il est évident que chaque profession lutte pour sa propre reconnaissance et que chaque profession a une place au sein de la société. Toutefois, il serait bon de réfléchir plus particulièrement à la place que nous donnons aux professionnels de la petite enfance car ce sont eux qui contribuent à la construction de l’adulte de demain.
Alors je pose cette question : que veut la société française pour ses jeunes enfants? Un accueil collectif de qualité où tous sans distinctions sont accueillis dans un espace réfléchi et adapté? Ou un accueil en fonction des revenus des parents avec dans tous les cas des lieux étriqués où s’entassent 6 bébés par adulte?

Ce n’est pas seulement la vision très libérale du gouvernement qui doit être interpellée mais aussi chaque adulte de cette société qui devrait, surtout dans les temps qui courent, penser avant tout la société pour que l’enfant puisse s’y épanouir et donc arrêter cette attitude du laisser faire…
Il faut tout un peuple pour éduquer un enfant dit un proverbe africain, en suivant cette belle pensée nous pourrions aussi dire: il faut tout un peuple pour faire entendre la voix de l’enfant! Il n’y a plus qu’à…

Impossible de répondre aux besoins de tout le monde. On est une pieuvre, à avoir autant de tentacules par Nounou

Ça m’écœure de ne pas pourvoir répondre aux besoins de tous les enfants, de devoir jongler entre tous. De plus, on à la cuisine, la lessive, le ménage, plier le linge, l’entretien de la crèche etc…

  • Un jour, j’étais toute seule avec tous les 11 enfants, ma collègue était partie en cuisine. Je m’occupais d’un bébé qui pleurait, je le consolais et le rassurait. De l’autre côté, il y avait un enfant qui frappait un bébé, je n’avais même pas vu ni remarquer. C’était trop tard, un énorme bleu sur le front.
  • Comme d’habitude toute seule avec tous les enfants, un matin, je prenais un bébé, qui a commencé à avoir soif, dans mes bras. Un enfant qui venait d’arriver avec sa maman, ne voulait pas rentrer à la crèche pleurait et criait…. Je devais jongler entre les deux, j’ai dû déposer le bébé pour prendre l’autre enfant qui se débattait avec sa mère.
  • Et je ne parle pas l’heure du déjeuner, où tout le monde criait famine. Seulement à deux professionnelles ce jour-là, je suis malheureuse de ne pas pouvoir donner à manger à ces enfants. Je n’ai que deux mains. Il faut les faire attendre, patienter. Il y a des enfants qui s’endorment avant même de commencer à manger. Donner à manger à 11 enfants seulement que de 2 pros. Comment faire…
    Un métier qui commence à perdre de ces valeurs.

J’ai perdu le sens de mon métier par Sandrine

EJE depuis 20 ans , quand j’ai commencé j’étais pleine d’espoir !
D’abord EJE de terrain puis, j’ai eu envie d’être responsable de structure pour mettre en avant des projets, faire de la parentalité , accompagner les équipes…. Aujourd’hui, responsable d’un multi accueil de 50 places, je suis perdue… Tous les jours, je me bats face au manque de moyens et de personnels. Au fond, je suis usée et pourtant je garde le sourire et le dynamisme chaque jour pour accompagner famille et enfants. Jamais je ne laisse une collègue seule avec plus de 3 enfants mais bien sûr, j’accepte d’aller sur le terrain….parfois il m’arrive aussi de remplacer l’agent d’entretien ou la personne de cuisine. Je suis multi fonctions mais résultat : je ne trouve plus le sens de mon métier. Quand je passe dans les unités comment ne pas être sensible à un bébé qui pleure . Tant pis je prends de mon temps pour lui offrir mes bras…
Et après, on veut mettre un pro pour 6 enfants mais MM. les politiciens, venez passer une journée dans nos unités et vous verrez que notre métier ne se résume pas à jouer !! Nous sommes les phares des ses futurs citoyens mais avant 2 ans attendre, partager ….c’est mission impossible ! Faire de l’individuel dans le collectif, voilà notre vœux le plus cher ! Alors écoutez nous !! Prenez la petite enfance au sérieux ! Nous ne voulons pas de votre réforme !