Il y a 9 mois …un texte écrit il y a 3mois par MaThiLdE

Il y a 9 mois, la crèche dans laquelle je travaille a fermé.
C’était le premier confinement.
Considérée personne à risque, j’ai télé-travaillé, uniquement.
Mon conjoint a travaillé en présentiel, il est moniteur-éducateur en foyer d’hébergement. Nous avons 2 enfants, qui étaient donc eux aussi en « télétravail », et devaient suivre leur scolarité à distance.
Ils sont d’ordinaire autonomes et en âge d’utiliser seuls l’outil informatique.
L’un d’entre eux a traversé des difficultés dans la poursuite de ses apprentissages en « distanciel ». Je ne me suis aperçu de rien jusqu’à l’appel de son professeur principal…

Au sein de l’équipe dans laquelle je travaille, certains agents ont été sur le terrain pendant ce premier confinement, dans l’établissement resté ouvert aux enfants des personnes prioritaires, ou affectés à d’autres services, sur la base du volontariat.
On a réfléchi et échangé ensemble : rejoindre de nouvelles équipes, parfois auprès d’un autre public, le port du masque et l’accueil d’enfants que nous ne connaissions pas, la gestion des protocoles sanitaires en place, l’inquiétude personnelle… comment protéger nos familles ? Le partage d’expériences nous a aidé à traverser cette étrange période.
Bien sûr, on a veillé à maintenir le lien avec les familles, à proposer des contenus : site d’infos, lectures, activités, vidéo : on a même créé une chaîne You tube !
On a aussi continué à se mobiliser sur des projets : éveil culturel, fête et sortie de fin d’année. Je ne peux pas m’empêcher d’y repenser avec une pointe de tendresse et d’amertume. Bien sûr, aucune festivité de fin d’année n’a vu le jour…

Mai est arrivé, la réouverture était annoncée.
Je suis allée faire établir un certificat médical par mon médecin traitant attestant que j’étais apte au travail (je suis une malade chronique observante, bonne élève, bien équilibrée).
J’ai repris le chemin de la crèche. Avec mes collègues, on a passé une journée à tester les nouveaux protocoles, faire des changes de poupons comme si on passait des examens pratiques en milieu hospitalier : crise sanitaire oblige.
On a joué à se laver les mains à la gouache noire pour vérifier qu’on passait bien partout, on a crée des outils de traçabilité pour l’entretien, on a fait des TP « Port du masque et bonnes pratiques ».

La rentrée est arrivée, à effectif réduit : 10 enfants, selon des critères de priorité.
On se changeait en intégralité avant de prendre notre poste, on ne pouvait pas travailler avec des vêtements qu’on avait portés à domicile, un sac fermé pour transporter nos tenues et différencier propre et sale, on se douchait avant de partir pour la plupart d’entre nous. C’était toute une organisation.
Retrouver parents et enfants en portant le masque, se découvrir nous, masquées, apprivoiser cette nouvelle communication. Les voix modifiées, le para verbal moins riche, la façon dont nous devons forcer dessus pour nous faire entendre, les stratégies compensatoires, les nouveaux rituels.
Accueil du matin, transmissions orales ensourdinées par ce masque, accueil de l’enfant, séparation parfois compliquée, qu’il faut enchaîner avec la prise de température, et le lavage de mains. Trouver le bon compromis entre le temps qu’il faut à l’enfant pour accepter le geste et le besoin d’avoir terminé pour pouvoir accueillir l’enfant suivant.
Les points de contact à faire toutes les heures, les caisses de jeux à nettoyer (sur lave-vaisselle propre et vidangé, sinon ce n’est pas du nettoyage) 2 fois par jour au début…
Les enfants qui touchent ou arrachent nos masques, les endormissements aux bras, le besoin de réassurance après tant de chamboulement…c’est évident. Et pourtant ça demande tellement de travail maintenant, ces gestes spontanés qu’on pouvait avoir et qui sont devenus des risques : laisser un bébé toucher notre visage, notre bouche parfois, le bercer en proximal, le contenir, accueillir ses émotions, lui laver le nez, changer une selle.
Plus rien n’est pareil, et tout est pourtant comme avant.
Les besoins des jeunes enfants sont les mêmes.
Et tout professionnel de la petite enfance sait très bien que la collectivité, déjà en temps normal n’est pas le mode d’accueil le plus adapté au bébé. Ce qui ne signifie pas qu’il ne présente pas d’intérêt ou qu’il est délétère.

En cette période de reprise, on est en sureffectif. Et on s’en sort. Le travail est fait mais on ne se sent pas au club Med de la Petite Enfance : procédures sanitaires, lavages de mains des enfants au moins 5 fois par jour, travail administratif, mise en place de petites barquettes individuelles pour le matériel de jeu des enfants, salle des bébés réorganisée en « décontamination » : on utilise des jouets, parfois non lavables puis on les isole une semaine. Si on peut, on les lave à haute température.
On exploite au maximum l’extérieur car on a la chance d’avoir un potager et un jardin: les enfants jouent, mangent, goûtent en plein air.

L’été est là, on passe de drôles de vacances, la crise sanitaire rôde, on doit toujours se masquer, on le porte toute la journée quand on bosse, et puis il faut aussi le porter pour sortir maintenant, même en extérieur. Si on va au cinéma, si on veut aller faire un peu de shopping, si on va au restaurant, quand on circule, pas moyen d’y échapper, de ne plus y penser, de décompresser…

La reprise arrive, et plein pot cette fois, retour à la « normale » dans un monde tout sauf normal.
Premier jour, première matinée : un agent a eu un appel médical pour une procédure PMA, elle doit quitter son poste, maintenant.
Elle était en familiarisation. Le papa et l’enfant sont là. Problème : les 2 autres agents présents sont en familiarisation également et ne peuvent la remplacer.
Le temps de faire venir une collègue au pied levé en urgence, les présentations sont faites, et la journée commence. Drôle de rentrée.
Familiarisations sanitaires, création du lien de confiance et d’attachement par le regard, et le langage corporel. Gestion des plannings des accueils pour éviter les regroupements de parents, propositions, réajustement, souplesse.
Mes journées me semblent saturées. Pourtant je travaille dans une structure « à taille humaine » avec une équipe très solidaire où chacun fait de son mieux.
Je le sais, j’en suis consciente. Il n’y a pas d’absentéisme particulier. Deux agents à temps partiel, un petit arrêt maladie par ici, un agent en congés par là, un RTT, une récup d’heures sup’. Les taux d’encadrement tels qu’ils sont prévus par la réglementation sont bien conformes.

Pourtant les journées sont denses et les repos étranges.
Affiche du ministère à l’appui, dans notre salle de pause c’est écrit, même quand on est dans la sphère privé, la vigilance est de mise.
Si on voit des amis ou de la famille, on doit faire attention à tout : les distances, les lieux, les échanges. Faudrait pas qu’on en vienne à se contaminer, à être en arrêt, à manquer dans nos équipes. Viendrait alors s’ajouter à la maladie, un sentiment de culpabilité. Notre voisin l’Hôpital est en difficulté : maintenant il a du matériel mais plus de personnel. Malade, épuisé, écoeuré, burn-outé.

Les journées à la crèche se suivent et se ressemblent : on ouvre à 7h30 et le premier enfant arrive à 7h30. Les parents sont sous pression, vivent eux aussi une période anxiogène. Dès l’ouverture en 1h de temps on passe de 1 à 11/12 enfants présents.
Ça nous laisse une moyenne de 5 minutes par enfant pour accueillir, faire les transmissions, prendre la température et laver les mains.
Du travail à la chaîne. Une chaîne attentive et bienveillante mais une chaîne.
Je n’ai jamais autant porté que depuis que je travaille masquée. Les bébés, les petits, les plus grands, les séparations se font beaucoup de bras en bras. C’est plus contenant.
Rester au sol en posture du Phare, c’est devenu mission-impossible. Entre 2 accueils, une selle à changer et un coucher, les ancrages se font de plus en plus brefs.
Quand le guide ministériel précise qu’il est nécessaire de laver les mains des enfants plusieurs fois par jour, nous lavons les mains, et faisons réellement ce soin préventif.
Mais pourquoi laver les mains au savon et à l’eau ? Mouiller les mains, chanter la chanson rituelle, mettre le savon, faire avec l’enfant, passer partout, rincer aussi longtemps que ce qu’on a savonné, sécher à usage unique, revenir en salle.
Parce que si on veut lutter contre la propagation d’un virus, c’est ainsi que l’on est efficace.
On va le refaire ce geste avec l’enfant, avec chaque enfant, quel que soit son âge, groupe, rythme, nombre de professionnels présents, accueils ou retours en cours, transmissions, pleurs, réveils-couchers-repas échelonnés: avant le repas, après le repas, avant le goûter, après le goûter, après chaque activité, et à chaque fois que l’enfant aura touché notre masque.
Parfois on va différer un peu, et prendre 2, voire 3 enfants en même temps, parfois on aura un bébé dans les bras, mais on le fera tout autant. Parce que c’est contraignant, mais c’est dans l’intérêt des tous : les enfants, leurs familles, et nos collègues.

L’automne est là, les fièvres arrivent : isolement, appel aux parents, attente. Equipe amputée d’un agent le temps que la situation se débloque. Atmosphère un peu électrique, pleurs d’enfants, soutien des collègues. Consultation, avis médical, retour rapide ou non, avec traitement ou non, de toute façon le quotidien n’est plus comme avant. Au travail, en dehors…est-ce la lassitude, la fatigue, la vigilance permanente, la difficulté de composer avec certaines mesures avec lesquelles on n’est pas en accord mais que l’on va appliquer et respecter ?
J’essaie d’être attentive et disponible pour les enfants : tous les enfants de la crèche mais aussi ceux de mon groupe. Je suis référente cette année. Une famille se fait accompagner par un « coach en sommeil » pour son enfant, les parents sont épuisés par les endormissements aux bras et les nuits compliquées. La maman est en arrêt maladie. Nous avons un protocole sieste à respecter : proposer un temps de repos au maximum 2h30 après le dernier lever, selon un rituel bien précis, et rester auprès de cet enfant au moins 20-30minutes. Si l’enfant ne s’endort pas, on le relève et on réessaie aux signes de fatigue. La même chose : soit minimum 20 minutes d’isolement avec cet enfant. La singularité dans la collectivité, c’est un vrai travail d’équipe.

La toussaint arrive, l’un de mes enfants devait rejoindre un cousin du même âge qui est en deuil et a perdu son père au printemps dernier. Devait … car la veille du départ, la fièvre s’invite au Rdv. Consultation, test PCR, pas d’avion, pas de vacances avec le cousin, c’est un drame.
Dès l’apparition de la fièvre, à la maison c’est isolement strict, repas solo en plateau repas, port du masque pour sortir de la chambre, douche en dernier, désinfection des points de contact.
On est 4 à la maison et on est tous en lien avec beaucoup de public. On n’a vraiment pas envie d’être des vecteurs de la Covid-19. On n’a pas spécialement peur pour nous, on comprend juste le mécanisme de diffusion…
Comme c’est les vacances scolaires, à la crèche il y a des agents en congés, je ne veux pas mettre mes collègues en difficulté, le temps du test et de la phase fébrile de notre enfant (qui a demandé à avoir un parent auprès de lui, ce qui n’est encore jamais arrivé), je demande à mon conjoint de prendre des jours enfant malade. Et moi je vais travailler. Comme si j’étais malade : je mange isolée, je porte mon masque tout le temps, dès que je n’ai pas de nourriture à enfourner dans ma bouche, même quand je suis seule dans une pièce.
Finalement le test est négatif, ce n’est pas la Covid-19, ouf. Bonne nouvelle.
Mais mon conjoint reçoit un appel de son chef de service : chez lui, les jours enfant malade ça s’arrête à 13 ans. Notre enfant en a 14. Il est contraint de poser 2 CA.
Charmant. A la crèche, on a un agent cas contact pendant les congés, les collègues vont se serrer les coudes pour que chacun puisse souffler. Pas de vacances annulées, mais quelle situation désagréable de constater que le repos des unes a pour prix la sur-fatigue des autres.

Le second confinement arrive pendant ces vacances scolaires, c’est un drôle de confinement parce que c’est sélectif. Chez moi on continue tous à sortir.
L’attestation fait son grand retour. Elle ne nous avait pas manqué celle-là.
Pendant les vacances, les dernières familiarisations ont eu lieu.
L’une d’entre elles avait été décalée pour cause de Covid-19 positif chez la maman. L’enfant aussi a été malade, mais non testé (c’est un bébé). La crèche est presque pleine. Mais pas complètement.
Le matin, quand on ouvre à 7h, le rythme est maintenant bien intense : allumer le lave-vaisselle, lire les transmissions de la veille dans le cahier d’équipe, préparer une dizaine de biberons selon notre protocole (charlotte, masque, sur blouse, etc..), assurer la traçabilité alimentaire, ainsi que celle des frigos, faire l’installation de la salle, le rangement des caisses de jeux lavées la veille, passer ce qui n’a pas pu être fait la veille si c’était trop tendu, tout ça en moins de 30 minutes.
On ne chôme pas.
On croise les doigts pour que tout soit ok sur les repas sinon on sait que c’est une difficulté supplémentaire d’appeler le prestataire, gérer la situation, trouver une solution. Heureusement notre agent d’entretien a l’esprit d’équipe et sait prioriser son travail. Solidaires qu’on est.
Notre collègue arrive à 7h30 et avec elle arrive le premier accueil. Pas de temps calme. La journée défile, en un éclair c’est la fin. La fatigue cumulée de la journée est là, pour les enfants et pour l’équipe. On a moins de ressource, et toujours autant à cœur de travailler dans le respect d’autrui. Il y a des levers et goûters échelonnés parfois jusqu’à 17h30.
Désinfecter les panières à doudou de chaque enfant, nettoyer la biberonnerie, stériliser les biberons, vérifier les températures des frigos, continuer à être présente en faisant des transmissions, en faisant des tâches, essayer de se dédoubler.
Parce que les retours réactivent la séparation du matin, parce que la nuit est tombée, parce que la fatigue se fait sentir, les pleurs me semblent parfois presque constants à partir de 17h.
Comme tous les ans en hiver, on accueille des enfants malades. Pas fébriles, ça non, mais malades : ils dorment mal, sont fatigués, ont le nez qui coule, sont inconfortables. Les familles travaillent, télé travaillent, les enfants sont là.
Ils ont besoin de repos, de réconfort, de portage, de soins, de calme. Ils ont un état général conservé, on ne peut pas leur refuser l’accueil.
Au quotidien, les habituels nez qui coulent, toux qui réveillent et écourtent les temps de repos, selles molles, pipis au slip, phase d’opposition sont comme autant de petites gouttes qui me font monter les larmes aux yeux.
Presque tous les enfants de mon groupe ont été mordus, l’un d’entre eux au visage et à sang la semaine dernière, sous mon nez, sous mes yeux, et je n’ai rien vu venir, je n’ai pas pu empêcher.
Parler aux familles, entendre les inquiétudes, accepter les mécontentements, rester à l’écoute, rassurer, faire vivre et évoluer le lien parfois tout récent que l’on a créé. Recevoir les parents, agir, ne pas baisser les bras, continuer à exercer. Pas évident tout ça…
En temps normal déjà c’est un exercice de funambule, qui demande concentration, observation, remise en question, prise de recul et travail d’équipe quotidien, permanent.

Je n’ai pas tout raconté, et je n’ai pas spécialement choisi, j’ai juste témoigné parce que ça m’aide d’écrire, ça sort de moi ces peines, ces difficultés que je suis entrain de vivre.
Moi, c’est chacune d’entre nous et chacune d’entre nous est moi.
On revient de bon cœur le lendemain, retrouver les enfants, les collègues, les familles, c’est une page blanche chaque jour. Mais ce n’est pas facile pour autant.