Responsable depuis 5 ans d’un multi accueil associatif, diplôme d’EJE obtenu il y a 15 ans (terrain-adjointe-responsable), depuis 1 an, j’ai des alertes perso de burn-out.
J’aime énormément mon métier, j’aime le public pour lequel je travaille en quartier politique de la ville. Nous avons du matériel et des locaux vraiment convenables.
Nous avons une psychologue et un médecin qui interviennent régulièrement.
Néanmoins, pour accompagner les enfants tout au long de la journée en répondant (avec traçabilité… chronophage) à leurs besoins et leur proposer des activités adaptées, sécurisées et variées… et en faisant quelques taches ménagères au passage, nous devons aussi, comme la plupart des structures : accueillir en multi-âge des enfants et parents en situations sociales complexes (logés en hôtels sociaux…), parfois orientés (PMI-AEMO…), parfois en cours de diagnostic TSA… observer, suivre, noter, établir nos accompagnements des parents (contenus des transmissions, rencontres…), des enfants (matériel, contenu, posture en complémentarité d’équipe), coordonner nos pratiques et former les différents membres de l’équipe, veiller à travailler avec nos partenaires pour assurer la pluridisciplinarité des regards autour de l’enfant accueilli…. et nous devons faire cela sans moyens d’organiser des temps de réunions hebdomadaires ou bimensuelles de qualité, sur lesquelles nous pouvons compter, en dehors de la présence des enfants!!! (Tout en gardant des preuves de nos actions, des comptes-rendus pour nos financeurs, avec la crainte au ventre de fermer si on n’accueille pas assez d’enfants …)… Or, tous ces sujets abordés ne peuvent pas l’être en présence des enfants, à la fois car leur présence nécessite notre attention pleine et entière, mais aussi, il serait maltraitant d’aborder ces thèmes, et parfois des situations de conflits d’équipe qui se rajoutent, devant eux. Aussi, s’il faut les faire sur un temps de sieste, cela nous contraint à « faire dormir les enfants » ou les maintenir éveillés dans la salle de sieste sans faire bruit même si cela ne correspond ni à leur besoin ni à leur capacité.
Quant à faire sortir un à un des membres de l’équipe pour coordonner des pratiques, c’est peu efficace et chronophage… sachant que même pour aller aux toilettes, une pro doit alerter toute l’équipe pour assurer organiser son relais …
Je note également qu’au fil du temps, le métier présente ce que je considère comme des dérives notamment dans le soutien à la parentalité. Un certain nombre d’actions de soutien ou d’accompagnement ou de « prévention » tourne à pointer les « défaillances » parentales, imaginer des parents pas assez bons, pas assez capables… Ils existent oui ! Mais de là à transformer notre travail d’accueil en un travail de repérage de failles, à juger et pointer le parent en difficulté (qui, à raison, va de moins en moins le dire), tourner vite au diagnostic et à la précipitation d’action de type «protection de l’enfance » pour dire que l’on « a bien fait de la prévention et du repérage», en prenant de moins en moins en compte le temps de l’enfant et le temps du parent (pourtant indispensables à l’enfant et à son parent pour penser, comprendre, agir et donc être UTILE, durable et profitable à l’enfant).
On accepte de moins en moins les actions qui prennent du temps. On les trouve coûteuses et risquées … Mais à qui répond-on? Travaillons-nous au service de l’enfant ou pas? Le temps, c’est de l’argent et il faut bien se protéger «au cas où on n’aurait pas suffisamment protégé l’enfant de son parent dont on imagine que si l’enfant est « comme ça » c’est que ça doit bien être qu’il y a une faille quelque part »… si possible pas chez nous.
La petite enfance devient un lieu ou parent et professionnel pourraient en venir de se méfier et à se protéger les uns des autres, si nous ne donnons pas aux équipes les moyens de réfléchir et de penser leur pratiques et leurs actions (diplômes, formations continues, temps de réunions obligatoires, temps de repos supplémentaires….). Nous avons 2 à 3 journées professionnelles annuelles … c’est bien pour se former ensemble … mais ça ne remplace pas le besoin de réunions régulières hors accueil pour tisser ensemble tout le travail à fournir pour chaque enfant.
S’occuper de jeunes enfants est différent de l’école … début de la vie en groupe avec un besoin indispensable de respect de son rythme individuel… pas de programme mais une organisation précise et une veille constante sur le bon développement global individuel … pas de notation des acquis, mais des propositions ciblées dépendantes de chaque enfant. Le métier a évolué, et pourtant on ne le reconnaît pas.
Travailler sans programme de façon ajustée et individualisée avec suivi et prévention dans un lien de confiance avec le parent et en partenariat nécessite un travail permanent de réflexion d’équipe, d’organisation et d’engagement énorme… une stabilité, une disponibilité physique et psychique. Les temps de repos tels que prévus à l’école devraient être obligatoires pour les professionnels et plus réguliers pour les enfants. Il faut reconnaître que beaucoup de professionnel·les continuent à penser et à créer chez eux… et à faire sans s’en rendre compte des pseudo réunions durant leur pause déjeuner. Le milieu de la petite enfance, comme tous les milieux dans lesquels on s’occupe de personnes vulnérables et dépendantes, peut devenir vite maltraitant (envers enfants-parents-pros) sans le vouloir, sans le savoir si on impose pas ces temps de réunions, de formations, de prise de recul, de direction, d’organisation, de concertation pluridisciplinaire, et de repos.
Enfin, travailler avec un nombre de professionnels toujours calculé au plus juste sur l’amplitude horaires, nombre d’enfants, nombre de diplôme, déstabilise tout au moindre retard, arrêt maladie, congés (lorsque la structure ne les impose pas), départ /période de recrutement … S’en suit fatigue, stress, manque de qualité … donc absentéisme et turnover… et on recommence sans cesse, et tout est instable, avec de plus en plus de jolis mots sur le papier, de moins en moins de fond sur le terrain, de plus en plus de cache-misère, et donc de moins en moins de reconnaissance des difficultés par l’extérieur…
On ne peut pas nous demander d’accomplir plus, en ne donnant pas plus. Et encore pire, en retirant!!
Nous devons défendre nos valeurs, défendre les enfants avec force, sans honte ni détour. Nous devons refuser d’accueillir des enfants si le personnel manque, ou diminuer une amplitude horaire … et cela sans culpabiliser bien AU CONTRAIRE. Car il faut défendre les enfants et ce que nous leur devons. Les parents râleront et ils auront raison, mais nous aussi. Si chaque structure se mobilise en n’acceptant pas, ils seront avec nous. La société a besoin de nous, on l’a bien vu ! Ne plus laisser croire que nous sommes des super-héro-ïnes… car sinon quoiqu’il en soit, ce sera au détriment de la qualité d’accueil de l’enfant.
Je cherche des idées de reconversion à chaque fois que je frôle le burn-out, mais je refuse finalement de laisser tomber les enfants des crèches en partant, ou en acceptant ces systèmes.