Lettre envoyée au Pdt République restée sans réponse par Dom

le 8 février 2021

Monsieur le Président de la république,

Je m’appelle Albert, j’ai deux et demi et une petite sœur Léa qui a quatre mois. Nous allons tous les deux à la crèche.
Nos parents sont ravis d’avoir obtenu une place pour nous. Avoir une place à la crèche, c’est avoir une place dans la société. C’est un vrai plus, car nous sommes avec des professionnels diplômés, qui nous guident dans nos apprentissages et nos développements.
Ce qui caractérise tout bébé, ce sont d’une part cette notion d’être humain en devenir, d’autre part ses capacités innées, la soif de découvrir et de savoir.
Mais ces dernières ne s’expriment et ne se mettent en place de manière heureuse que si l’environnement le permet et les y pousse.
Nos parents savent que c’est une chance pour eux et pour nous. Trop peu d’enfants sont admis, l’effectif étant limité.

Ici trente places au total, entre le secteur des bébés et des grands.
Ma sœur et moi, permettons d’atteindre le taux de fréquentation exigé par les gestionnaires et la caisse d’allocations familiales. Il paraît que la crèche se doit aussi d’être rentable !
Ma sœur et moi, ne sommes pas d’accord. C’est notre avenir qui se construit à la crèche. Ce qui se passe dans la petite enfance est primordial pour le reste de la vie.
Léa est dans la section des bébés, qui accueille certains jours jusqu’à quatorze bébés, pour une surface de trente sept mètres carré. C’est vraiment pas facile à vivre !
Dans cette section, les touts petits et les moyens sont mélangés.

Le matin, nous arrivons de bonne heure, à sept heures quinze. Là, deux professionnels nous accueillent chaleureusement.
Il y a déjà, plusieurs enfants présents dans la salle d’activité des touts petits. L’accueil, le matin se fait dans ce secteur uniquement, jusqu’à huit heures où deux autres professionnels arrivent.
Les grands et les plus petits se mélangent. Pour la sécurité des bébés, un parc surélevé  est à leur disposition et les préserve du dynamisme des marcheurs qui courent et sautent déjà partout. Il faut bien palier à la petitesse de la pièce ! Malheureusement, ma petite sœur ne voit pas les autres enfants étant isolée dans ce parc.
Les deux professionnels présents doivent gérer la mise en place de la crèche, les arrivées, les lavages des mains effectués suite aux protocoles sanitaires, les pleurs causés par la séparation… et quelques fois un biberon.

Comme la crèche respecte le rythme individuel de chaque enfant, ma petite sœur Léa est préparée pour dormir. Elle est réveillée depuis les six heures du matin. Le dortoir de treize mètres carrés des bébés a une capacité de neuf lits. Alors, il y a une rotation entre les lits et les enfants. Tout ce petit monde n’a pas de lit d’attitré ou voire même pas de lit. Cherchez l’erreur ! De plus, pas facile de circuler entre les lits !
Avant l’arrivée des deux horaires de huit heures, il peut  y avoir treize enfants ou plus jusqu’à sept heures trente.
Un manque de personnel pour diverses raisons nous pousse à être dans cette zone jusqu’à neuf heures. (un autre professionnel arrive à cette heure) .
Les textes disent que nous sommes dans les chiffres. Mais dans la réalité, moi, qui le vit, je vois bien qu’il est nécessaire d’avoir des professionnels supplémentaires.

Ensuite, tous les grands sont accompagnés dans l’autre secteur qui leur est dédié. Là, il peut y avoir jusqu’à vingt trois enfants pour une surface de quarante quatre mètres carrés. Ouille ouille ouille mes oreilles ! Le bruit est effrayant…
Un dortoir de dix huit mètres carrés, sans fenêtre, où quatorze enfants sont installés côte à côte  ( je dirais même collés), donne directement sur la salle d’activé.
Les gestes barrières qui sont de mises actuellement sont impossibles dans ma crèche…
Une autre petite pièce de neuf mètres carré et demi (avec une baie vitrée qui ne s’ouvre pas), était à l’origine une petite salle de lecture. Celle-ci est transformée en dortoir où six voire sept enfants peuvent y être « agglutinés ». L’été, la chaleur est terrible à vivre faute de volets.

De l’extérieur, l’image de la crèche s’annonce dans un cadre homogène et harmonieux. C’est une sorte de « boîte colorée »  habillée de motifs enfantins, mais ou la réalité est loin d’être parfaite.
En fait, pas assez d’espaces pour ranger le matériel pédagogique. Tout est entassé, malgré les inventions des professionnels pour cacher « la misère ». Pas de salle de motricité, pas d’espace pour les activités manuelles. Pour diviser le groupe, les activités se pratiquent soit, dans l’espace restauration de onze mètres carré, soit dans le hall d’entrée de quatre mètres carré. Une table y a été installée et sert également pour les repas. Impossible aux adultes de tourner autour.

Maintenant, parlons des repas… là aussi, cela paraît inimaginable !
Nous sommes collés, serrés. A huit enfants sur une petite table rectangulaire prévue pour six. Impossible de circuler correctement également.
Comme la cuisine de cinq mètres carré, sert pour la préparation des repas des plus petits du secteur bébés, c’est très compliqué. D’ailleurs, dans ce secteur, j’entends six bébés pleurer. Ils réclament leurs biberons en même temps pour quatre professionnels présents. Comment ces professionnels peuvent-ils s’organiser pour gérer les besoins de ces petits ?

De plus, lors des absences de la femme de ménage, celle-ci n’est pas remplacée et la charge de son travail revient à l’équipe. Cela veut dire que les professionnels sont encore moins disponibles pour nous les enfants. Faut-il arriver à procurer des soins d’une manière mécanique et en urgence, en fonction de leur surcharge de travail ?
Les bébés pleurent de fatigue ou de faim et  malheureusement personne ne peut répondre à leur demande !

Le soir, il n’y a qu’un professionnel dans chaque secteur : moi, je suis fatigué de ma longue journée, j’aimerai bien un câlin, mais il y a les départs, les derniers changes,   la désinfection des jouets, de la salle de change, de la biberonerie…etc
J’entends aussi ma petite sœur, dans le secteur des bébés. Elle aussi aurait besoin de se lover… mais personne n’est disponible pour l’instant. Pourtant, les professionnels font leur possible…alors je pleure, et j’attends au portillon.

Il faut savoir, que les bébés qui sont privés d’affection chaque jour passé avec  les professionnels des lieux d’accueil ressentent un déficit nuisible à leur développement. Ce n’est pas moi qui le dit, mais des neurophysiologistes. Si la mère reste le personnage principal dont le bébé a besoin pour construire son lien d’attachement, les autres personnes de son entourage sont également très importantes, pour qu’il puisse développer un attachement sécure. Les méfaits des pleurs sont néfastes sur le développement du cerveau. Alors, comment nous offrir tout cela, si le personnel diminue et que l’on augmente le nombre d’enfants par personne ?

De grâce, pas de bébés à la consigne, s’il vous plaît, « mesdames et messieurs les décideurs ». Nous ne sommes pas non plus des sardines, dans une boîte. Pensez à nous, à notre avenir. Aidez-nous, à devenir des adultes confiants, équilibrés, à l’écoute des uns et des autres. Aidez-nous à nous construire, à grandir dans de bonnes conditions…
Vous avez notre futur en vos mains, comme nous, nous avons le vôtre. N’est ce pas le principe de l’intergénérationnel ?

Je parle au nom des professionnels des crèches qui sont malmenés par les contextes de travail, les pénuries et les surmenages mais qui continuent de croire qu’ils sont  d’une grande utilité sociale et qu’ils doivent à ce titre être mieux reconnus, mieux formés, mieux traités. Enfin en un mot, être considéré.

Ici, dans ma crèche, l’équipe est composée d’E.J.E ., d’A.P. ,de C.A.P.,de  B.A.C. Pro. C’est une équipe pluridisciplinaire. Chacun par sa formation apporte son savoir différemment, ce qui  est complémentaire et formateur. Comment voulez-vous que cette complémentarité puisse encore exister en diminuant le nombre de personnes diplômées en structure ? Comment voulez-vous que ces professionnels sans formation puissent fournir un accompagnement de qualité et emprunt de bienveillance, d’empathie ?

L’accueil et l’accompagnement des enfants de 0-6 ans ne sont pas innés.

Encore une fois, la responsabilité des professionnels des crèches est importante. Aucun d’entre-eux ne doit ignorer les capacités des bébés, leur manière d’apprendre le monde physique et mental et l’indispensable richesse de leur « niche sensorielles », comme base de tous leurs développements. Ce sont les avancées scientifiques qui révolutionnent notre compréhension du bébé d’aujourd’hui, qui l’affirme.

La formation est donc plus que nécessaire pour connaître le développement de l’enfant, ses besoins. L’ensemble de ses sensations qui sont perçues par l’intermédiaire de ses cinq organes sensoriels et de son corps.

Alors moi, je ne veux pas d’accompagnants qui utilisent des méthodes pédagogiques inadaptées, souvent issues de leur propre vécu scolaire ou des pratiques habituelles devenues de véritables dogmes n’ayant plus aucun fondement, ou encore moins de recettes à la mode qui soi-disant, fonctionne, mais sur quelle base, pour qui et pourquoi ?
Nous, les enfants, désirons des pratiques pédagogiques avec les théories scientifiques actuelles.

Nous voulons trouver un équilibre psychique, émotionnel et intellectuel grâce à des professionnels diplômés et de qualité.

Donnez-leur les moyens pour nous accompagner, de sortir du cadre des pratiques traditionnelles. Mais peut-être s’agit-il là d’une utopie ? Pourtant, les utopies servent aussi à faire évoluer le monde…

Recevez, monsieur le Président, tous mes sentiments d’espoir  en espérant que ma lettre attirera votre attention.

Albert