J’aimerais tant être une pieuvre à plusieurs têtes par Sunshinette

Diplômée depuis trois ans d’un DEEJE, je suis déjà bout professionnellement. Trois ans, trois petites années et déjà plusieurs remises en question … Trouvez-vous cela normal ? J’aime mon métier, j’aime accompagner les enfants et leurs familles mais je n’aime pas les conditions dans lesquelles je dois exercer ma profession.

Comment apprendre à un enfant à devenir bienveillant, à l’aider à acquérir de l’empathie quand il côtoie quotidiennement des adultes à bout ? Comment aider cet enfant à acquérir l’autonomie dont il a besoin pour s’épanouir dans sa vie ? Je vous le demande.

Sur le terrain, j’ai la chance de travailler avec une équipe soudée qui se soutient même en dehors du cadre professionnel. Nous savons que nous sommes toutes dans le même bateau alors on essaye toute de s’entraider pour ne pas sombrer et faire couler des petits êtres innocents avec nous.

Mais il y a des jours, lorsque le téléphone sonne dès les premiers heures, notre première question est : « qui va être absent pour soulager le groupe d’enfant ? ». Et lorsque le premier confinement, comme le deuxième (actuellement) a été annoncé, seriez-vous surpris de nous entendre dire que nous étions contentes d’avoir une coupure ?

Je ne veux pas avoir ce genre de pensées. Je veux pouvoir accompagner le groupe d’enfants sans prier pour des absences. Je veux pouvoir accorder du temps à chaque enfant individuellement et non pas réfléchir de manière stratégique en me disant que si je reste plus longtemps avec cet enfant, ma collègue va se retrouver en difficultés et les autres enfants seront donc eux-mêmes en difficultés. Je me déteste et je me sens mauvaise professionnelle lorsque je dois faire passer l’intérêt du groupe au détriment d’un besoin d’un enfant afin de ne pas rendre les choses plus compliquées qu’elles ne le sont déjà.

Dire à un enfant « Non, je ne peux pas changer ta couche car je dois coucher untel. » est-ce normal ? Ou bien devoir dire à un enfant, « Je suis désolée, je sais que tu es fatigué mais tu dois rester avec le groupe d’enfants au lieu d’aller te reposer. » Pour moi c’est de la maltraitance institutionnelle clairement … Mais comment faire lorsqu’on nous impose des réglementations strictes et des quotas d’enfants énormes ?

Je ne suis pas une pieuvre. Parfois j’en rêve. Avez-vous déjà eu six enfants qui essayent de trouver une place sur vos jambes, dans vos bras, accroché à votre cou et dans votre dos ? Et encore je dis six, mais imaginez-vous que le quota imposé par l’état est de 1 pour 8 … Imaginez 8 petits êtres demandeurs de votre présence physique et mentale en même temps, se poussant, tapant pour avoir la « chance » d’obtenir un calin ou une minute d’attention … Si j’étais une pieuvre je pourrais tous les prendre dans mes bras mais ce n’est pas le cas malheureusement.

Je demanderais aux politiciens de venir travailler trois mois dans une crèche à nos côtés pour comprendre ce que nous ressentons au quotidien. On a cru voir une lueur d’espoir avec les « 1000 jours » mais c’était trop beau pour être vrai. Le gouvernement essaye de mettre un ratio de 1 pour 6 pour tous les enfants, certes c’est un gain pour les sections de plus grands mais qu’en est-il pour des bébés de trois mois ? Je vous le demande ! N’auriez-vous pas le cœur brisé en entendant cinq bébés pleurer alors qu’une professionnelle couche ou nourrit le sixième ? Si ce n’est pas le cas, vous êtes mal placé pour prendre des décisions politiques au niveau petite enfance.

Vous dites vouloir le meilleur pour les enfants de notre société mais jamais vous n’écoutez les professionnelles sur le terrain. Nous sommes payés au lance-pierre, nous nous cassons littéralement le dos pour accueillir ces petits dans des conditions les plus favorables possible à leur développement, mais vous ne nous aidez pas. A votre avis, pourquoi les crèches ont du mal à recruter ? Remettez-vous en question … Pourquoi au bout de trois ans d’exercice professionnelle je me demande si je ne serais pas mieux derrière un bureau ?

S’il vous plait entendez nos revendications. On ne demande pas la lune, juste un peu de considération pour notre profession, de valorisation et nous avons plus que jamais besoin de se sentir soutenu ! Je ne sais pas si mon message sera lu mais je l’espère !

Une EJE qui rêverait de pouvoir être une pieuvre en ces temps terribles où la petite enfance se noie comme le Titanic.